Le pèlerinage des 88 temples de Shikoku (Henro)   


Il existe au Japon un chemin de pèlerinage faisant le tour de l'île de Shikoku, reliant 88 temples appartenant presque tous à l'école bouddhiste Shingon. Les pèlerins (henro) parcourent l'île de Shikoku sur 1130 km, en général dans le sens des aiguilles d'une montre, 1400 km si on tient compte des temples supplémentaires.
Ils font tamponner leur carnet dans chacun des 88 temples avant de revenir au temple numéro 1.

Le terme "Henro" 遍路 (へんろ) représente aussi bien le pèlerinage de Shikoku lui-même que la personne qui le fait.
Le chemin s'appelle Henromichi 遍路道 (へんろみち).

Pour les autres pèlerinages, on emploie plutôt le terme  "Junrei"  巡礼 ou "Junpai" 巡拝. Le pèlerin sera alors un "Junreisha" 巡礼者.
La visite à un temple s'appelle "Sankei" 参詣 et le visiteur "Sankeinin" 参詣人).

       sign  japon  

henro ma

Ce pèlerinage est comparable au Chemin de Compostelle en Europe, mais il est né indépendamment, bien avant que les européens et St François Xavier n'accostent au Japon. La distance, les étapes, les tampons, le marquage, les auberges se ressemblent, bien que les buts religieux soient au départ différents. La fréquentation a subi le même phénomène de renouveau qu'en Europe, mais retombe un peu. Les marcheurs sont une minorité (environ 5000 par an), le pèlerinage se fait surtout en bus. Le nombre de pèlerins occidentaux dépassera bientôt le nombre de marcheurs locaux: l'ambiance s'en ressent déjà au niveau des logements.

Le pèlerinage de Shikoku suit les traces de Kûkai: la légende veut que Kûkai ait parcouru ce pèlerinage en 805, ce qui semble difficilement conciliable avec sa biographie. Toutefois, le chemin passe par des lieux où il a vécu
.


Kûkai
(空海 くうかい) (= Koubou Daishi 弘法大師  こうぼうだいし)

kukai

Kûkai (dont le nom bouddhiste posthume est Koubou Daishi) (774 - 835) est un moine bouddhiste, fondateur du bouddhisme Shingon. Il est considéré au Japon comme un grand saint, un lettré qui a inspiré la civilisation japonaise, un poète et un grand  organisateur, créateur d'écoles populaires. Il aurait créé le syllabaire hiragana qui permet d'écrire le japonais. Il a fondé la ville sainte de Koyasan et dirigé le temple Tô-ji à Kyoto, toujours centres du Shingon.

Il est né à Shikoku (Zentsuji) en 774 sous le nom de Saeki no Mao (佐 伯 真魚). Il fit des études à Kyoto, puis se dirigea vers le bouddhisme. Il eut une période d'ascète errant, entre autres dans les grottes du Cap Muroto à Shikoku, où il prit le nom de Kûkai, puis partit en Chine à Ch'ang-an (Xi'an) étudier lors d'une ambassade (en même temps que Saichou, fondateur du Tendai). Il y apprit le sanscrit et le bouddhisme ésotérique Mi Tsung, venant du Vajrayana " véhicule de diamant", que le bouddhisme tibétain a développé plus tard.

Rentré au Japon, il fonda l'école Shingon. Contrairement aux autre écoles, il affirmait qu'on pouvait « Devenir Bouddha dans cette vie avec ce corps ». En 815, il fonda Koyasan 高野山 こうやさん, la ville sainte du Shingon, sur la péninsule de Kii au sud d'Osaka, et en 832 prit en charge le Tô-ji de Kyoto.

Son tombeau se trouve au fond d' Oku no In 奥の院  (おくのいん) à Koyasan. Les fidèles pensent qu'il y est toujours en méditation. Des millions de japonais sont venus mettre leur tombeau près de lui, sous une allée couverte de cryptomères multicentenaires. C'est un lieu de pèlerinage très fréquenté, siège de l'école Shingon.

Il a reçu 100 ans après le titre posthume de Koubou Daishi (Daishi = grand Maître, Koubou = transmetteur de la Loi). Employé seul, le terme Daishi (grand maître) au Japon se réfère en principe à Kûkai.

Le pèlerinage des 88 temples de Shikoku se finit souvent à Koyasan, par une dernière visite à Kûkai (il repose dans le temple derrière l'Okunoin), et un dernier tampon de l'Oku no in.

Okunoin oku  koya2 Noukyoujo

Au bout de l'allée de 2 km se trouve le Toroudou  灯籠堂 Hall des lanternes. On le contourne par la gauche, on passe devant l'ossuaire Nokotsudou 納骨堂, pour se trouver à l'arrière face au mausolée de KoubouDaishi (Kouboudaishi Gobyou 弘法大師御廟). Puis on visite la crypte sous le Toroudou (sceptre et 50000 bouddhas).

Au long de l'allée, les poteaux blancs portant des noms correspondent aux tombes (墓所) des grandes familles ou des hommes célèbres
Site japonais: hommes célèbres et mausolée de Kouboudaishi (dernière photo en bas )

La seule carte complète en français (Nankai 2009) (pdf)
indispensable, difficile à trouver sur place, emmenez-la!
Carte en anglais (pdf) sur www.shukubo.jp

Photos de Koyasan en français (site Fredasie)

Le train, puis le funiculaire et enfin le bus vous amèneront à Koyasan en partant de la gare de Namba à Osaka, par la Nankai Koyasan Line. Le Kansai thru pass comprend ce trajet, sauf les Limited express.
Tout sur Koyasan et le trajet sur Nankai (en français!)
Nankai line


On peut aussi s'arrêter à Kudoyama et monter à pied à Koyasan en 7 heures, mais il faut arriver avant 17h dans les temples pour loger.
Koyasan Choishi stupa route (Chouishimichi)

Malheureusement, Koyasan est devenu une destination touristique mondiale où les occidentaux, chinois, coréens viennent par bus entiers passer une soirée dans un monastère pour la soirée "typique" de leur voyage, seule occasion de dormir sur des tatamis et de manger un repas végétarien assis par terre, à un prix astronomique. Ne comptez plus y trouver un maître spirituel, mais plutôt un père hôtelier un peu blasé. Allez-y quand même finir votre pèlerinage!.

Le bouddhisme japonais

Pour les religions monothéistes, le monde a été créé par Dieu et a donc un but qu'il faut atteindre. Toute l'Histoire de l'humanité ne tend que vers ce but. Les athées occidentaux l'ont transformé en "progrès", mais le principe reste.
Un pèlerinage chrétien se comprend donc comme une marche vers un but final: on va à St Jacques de Compostelle (Santiago) ou à Rome, le but (et on revient en avion en 2 heures!).
Les orientaux ne voient pas le monde en marche vers un avenir radieux, mais des cycles qui recomment à l'infini: le pèlerinage de Shikoku fait donc un cercle qui revient à ses origines (pour repartir aussitôt). Lorsqu'on a fini le pèlerinage de Shikoku, on revient au temple numéro 1 et on reprend le tour suivant...2 fois, 3 fois,...100 fois...

Les religions hindoues ont inventé
- la notion d'âme individuelle, goutte de Dieu en l'homme ("Tat tvam asi = tu es Cela"), idée reprise par les grecs et les chrétiens, non signifiante dans le bouddhisme..
- les réincarnations en fonction des actes dans les vies antérieures , idée reprise par le bouddhisme.
L'idée de réincarnation que les occidentaux trouvent sympa (on revit!) est une calamité pour les hindouistes et les bouddhistes (on retourne dans la souffrance, dans les "ténèbres extérieures" dirait-on chez nous).

Pour le bouddhisme originel, les notions de création, d'âme ou de dieux ne sont pas significatives (c'est l'esprit qui se réincarne), et on se demande encore s'il s'agit d'une philosophie ou d'une religion. On a pu ainsi parler de religion des athées ou de simples techniques de méditation (comme souvent le zen en occident).
Il cherche une solution aux problèmes de la vie de l'homme dans le monde, sans chercher d'où vient l'univers. Son but est de sortir du cycle des réincarnations subies par l'homme du fait de son ignorance et de ses actes. La souffrance vient du désir: si on supprime le désir, on peut arriver à l'illumination, atteindre le nirvana (délivrance totale de la souffrance et vérité absolue) et devenir un Bouddha éveillé. Un boddhisattva recule le moment de l'éveil total pour rester aider les hommes. Il existe une dévotion pour les bouddhas ou boddisattvas, mais ils ne sont pas considérés dans le bouddhisme original comme des dieux, plutôt comme des saints ou des anges qui peuvent aider à progresser. La "déité" n'est que la représentation d'une qualité. On n'adore pas une statue bouddhiste, on vient voir la qualité qu'elle représente (vertu, bonté, compassion,...) pour s'en inspirer ou à un degré au-dessous pour demander l'aide de cette "déité" pour atteindre cette qualité.
Comme souvent, la religion populaire s'est bien éloignée de ces principes de base, et on voir les gens demander à Jizou de faire bon voyage, à Bokefûji Kannon de ne pas avoir l'Alzheimer, comme on prie chez nous devant la statue de St Christophe, St Antoine ou Ste Rita.


Il existe 2 formes de bouddhisme:

-la voie du Sud Hinayana (petit véhicule) ou Theravada, répandue en Inde, Ceylan, Thaïlande...
    Seuls les moines peuvent atteindre l'Eveil, les autres seulement une diminution de la souffrance.

-la voie du nord Mahayana (grand véhicule), Chine, Japon
    Tous peuvent atteindre l'éveil.
    Syncrétisme avec les religions locales (shinto au Japon) donc voie plus "divinisée", avec des représentations de bouddhas et boddhisattvas qui sont quasiment des "divinités" (Dainichinyorai, Amida, Kannon, Fudomyou...).  

Le bouddhisme fut introduit au Japon pendant la période de Nara par le prince Shotoku (574 -622), mais se développa surtout autour de 800 avec l'introduction des écoles Mahayana: Tendai (école du Sutra du lotus) par Saichô en 805 et Shingon par Kûkai en  806. Le Shingon venait de la voie tantrique Vajrayana (voie du diamant), à partir de laquelle s'est développé le lamaïsme tibétain. Le Vajrayana fait partie du Mahayana.

Par la suite, les autres branches du Mahayana furent introduites au Japon:

- Terre pure (Jôdo de Honen 1175, Jôsdoshin de Shinran 1284), centré sur Amida, "divinité" vivant dans le paradis de l'Ouest et sur le boddhisattva de la compassion Avalokiteshvara devenu au passage une femme: Kannon. Il suffit de répéter le mantra "Namu Amida Butsu" pour être sauvé dans le Jôdo, et même rien à faire dans le Jôdoshin. L'école de Nichiren en 1253 demande seulement de répéter le titre du Sutra du Lotus "Namu myoho renge kyo".

-  Zen (1191) Eveil direct par la méditation, Rinzai de Eisai (1191) basé surtout sur les koans (énigmes) et Soto de Dogen (1227) basé surtout sur le zazen (méditation assise).

Le Shingon

Vous trouverez une présentation complète du Shingon
en français sur le site du Komyo-in:

Komyo-in

Vie de Kobo Daishi (site du Komyo-in)

Motivations des pèlerins


Fiona MacGregor a fait une thèse sur les motivations des pèlerins.

Bibliographie

L'immense majorité (83 %) des henros font le tour en bus, voiture, taxi.
Je ne parlerai ici que des marcheurs (autour de 11%).

- Une majorité a plus de 50 ans, les étrangers sont plus jeunes
- 18% de femmes
- Beaucoup ne marchent que quelques jours
- 21% font les temples du Tokushima-ken (N°1 à 23) sans poursuivre, comme on fait Le Puy - Conques
- 33% font le tour complet en une fois
- 1% fait le tour complet 88 temples + retour au numéro 1

Bien que Kûkai soit le saint du Shingon, la provenance religieuse est variée:
- 33% Jôdo shin (Amida)
- 19% de Shingon
- 17 % sans religion (randonnée)

La moitié des étrangers était "sans religion", les autres chrétiens ou bouddhistes.

Richard Barber a étudié les pèlerinages, Compostelle et non-chrétiens, il classe les pèlerins en 3 groupes:
- par dévotion religieuse
- pour régler un problème personnel
- par curiosité et amour du voyage

Les motifs évoqués sont dans l'étude de MacGregor, dans l'ordre de fréquence:
- Pèlerinage pour les ancêtres, la famille ou après un décès
- Harmonie avec la nature, santé
- Foi ou ascétisme (= motif religieux)
- Découverte de soi
- Histoire et culture
- Curiosité, voyage


Autres sentiers de pèlerinage

Kumano Kodo

kumano

J'ai découvert les sentiers de pèlerinage en faisant une partie du Kumano Kodo pour rejoindre les onsens au-dessus de Kumano. Il est accessible, mais il y a moins de logements que sur Shikoku, certaines parties ont seulement des places de camping ou des huttes, et donc il demande plus de préparation.
Les sentiers sont assez durs, beaucoup d'anciens escaliers ou d'anciennes routes en pierre disloquées demandant une attention soutenue, beaucoup de dénivelé, passages de cols successifs entre chaque village, mais la nature est superbe:

Les sentiers de Kumano sont plutôt reliés au shintô, mais ils relient Ise, sanctuaire principal shintô, ou Koyasan centre du bouddhisme Shingon à Kumano qui a été un centre du syncrétisme entre les deux religions (shinbutsu shûgo).

De nos jours, ils sont plutôt considérés comme des chemins de randonnée. On y rencontre peu de pèlerins en tenue, plutôt des gens en tenue de montagne qui marchent en boucle à partir d'un hôtel de bord de mer.

Kumano : site en français !

Sentiers de la péninsule de Kii

** Une voie "Sankeimichi Kohechi" va de Kumano à Koyasan, avec pas mal de dénivelé, mais en pleine nature. 

** Une voie "Omine Okugakemichi" va de Yoshino à Kumano, avec des passages à 2000 mètres. C'est une voie connue pour les pratiques ascétiques de l'école Shugen. Une partie de 65 km faisable en 4 jours est décrite dans le Lonely Planet "Hiking in Japan".

** La voie principale "Kiji" est décrite par l'auteur de Chonta web qui nous a encore devancé: la première partie de son périple dans le Kinki se fait sur la voie principale qui allait de Kyoto à Kumano. Un site avec cartes et altitudes. Cette voie passe par les cascades de Nachi.

Chonta web Kinki

** Une voie "Sankeimichi Iseji" va de Ise à Kumano

Voie de Ise

** Un site en anglais sur Kumano Hongu

Kumano Hongu


Compostelle

konk

Plus près de nous, le pèlerinage sur les chemins de Compostelle est aussi une façon de pratiquer une méditation active. L'augmentation du nombre de pèlerins depuis une dizaine d'année montre le besoin de retrouver ses sources, la nature, du temps pour réfléchir ou se retrouver, loin de l'agitation du monde et de la consommation.

Les européens sont plus familiers avec la religion chrétienne, qui est souvent la leur même si ils l'ont un peu oubliée, et entrent de plein pied dans le pèlerinage (ou la randonnée), sans avoir besoin de préparation. Terre et architecture leur sont encore familières et il y a toujours un chemin qui part près de chez soi pour aller à Santiago.

Amis de St Jacques

Chemin de Compostelle

Chemin de Compostelle 2


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